B.Helleu : « Les supporters les plus engagés sur les réseaux sociaux sont les ambassadeurs de la bonne image de leurs clubs »

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Cette seconde partie de l’interview de Boris Helleu (première partie de l’interview à lire ici) , blogueur et responsable du Master Management du sport de Caen, est focalisée sur l’importance des supporters pour un club. Les supporters  sont les ambassadeurs de leur club sur les réseaux sociaux. Ils génèrent pendant un match des contenus et conversations favorables à l’image de leur club. Cependant les clubs pourraient mieux apprendre à les connaître pour améliorer la fan experience. Entretien.

 

Certains clubs ne savent pas forcément mesurer ce que leurs communautés sur les réseaux sociaux leurs rapportent…

Le fan 2.0 se distingue aussi par des attitudes et comportements en conflit avec ce qu’on attend traditionnellement d’un supporter. On a encore une grille de lecture qui consiste à dire que quelqu’un qui est dans le stade c’est qu’il est venu voir le spectacle. Donc ce qu’on attend de lui c’est de regarder le terrain et encourager son équipe. Toute autre action que de regarder le terrain et encourager son équipe serait considérée comme de l’inutilité donc on a souvent ce reproche qui est fait “tu ne vas pas dans un stade pour regarder ton smartphone” ou encore “ça sert à rien de tweeter ou diffuser des photos sur Instagram alors qu’on attend de toi que tu encourages ton équipe”.

Un fan 2.0 qui, dans la tribune, partage des contenus liés au match sur les médias sociaux, a une utilité. 

Or, pour ma part je fais l’hypothèse qu’un fan 2.0 qui, dans la tribune, partage des contenus liés au match sur les médias sociaux, a une utilité parce qu’il alimente un contenu pertinent, immersif et en direct. De son point de vue il alimente en contenus une communauté de personnes qui suivent le match et qui n’ont pas pu nécessairement entre dans le stade. Il a aussi cette utilité.

 

Et puis le supporter peut aussi  inciter sa communauté à se rendre au stade en partageant des contenus…

Pourquoi pas. On s’aperçoit aussi que les supporters les plus engagés sur les médias sociaux sont aussi les ambassadeurs de la bonne image de leurs clubs. Lorsqu’on est fan de foot et qu’on suit la Ligue 1, chacun connaît les groupes de supporters ou les twittos “influents” dans ces domaines qui font beaucoup pour la bonne image de leur club.

Les supporters les plus engagés sur les médias sociaux sont aussi les ambassadeurs de la bonne image de leurs clubs

 

On a aussi entendu que les objets connectés, doubles écrans pouvaient nuire au spectacle sportif mais on peut les considérer comme un complément…

C’est un complément et c’est une expérience fan de nature différente mais cela ne veut pas dire qu’elle est moins bonne que l’expérience actuelle. Les sociologues du sport observent depuis très longtemps qu’il y a des attitudes, des comportements, des motivations très différentes selon les catégories de supporters et leurs places dans le stade. La satisfaction de chacun à aller voir un match, chacun la puise dans des choses différentes.

Des attitudes, des comportements, des motivations très différentes selon les catégories de supporters et leurs places dans le stade.

Certains ne vont être heureux que lorsque leur club gagne. Pour d’autres c’est d’aller voir un match entre amis et finalement passer un bon moment quel que soit le score. Pour d’autres ça va être d’être en loge, ne pas avoir vu le match mais avoir bu du champagne. Pour certains ce sera d’encourager leur équipe. Pour d’autres les modalités de satisfaction résident aussi dans le contenu consulté ou partagé sur les médias sociaux en direct. Quelqu’un qui partage des photos des buts, de l’ambiance dans les tribunes sur un compte Instagram et qui possède une certaine audience, peut estimer son activité utile.

 

On se rappelle de Leicester qui a gagné le championnat anglais et qui avait beaucoup misé sur le big data et sur les données par exemple pour le recrutement des joueurs. Il y a autre chose à prendre en compte par rapport au big data ce sont les données liées aux supporters et l’utilisation des CRM. J’ai parfois l’impression que tous les clubs ne se focalisent pas forcément sur ces données. Evidemment ça dépend aussi du budget du club mais il me semble qu’il y a beaucoup de choses à faire à ce niveau…

Lesclubs français ont commencé à considérer assez tardivement le marketing et les outils du marketing, de façon générale. Dans la culture française, les clubs ont toujours préféré investir dans le sportif plutôt que dans le secteur administratif et marketing qui leur permettrait par ailleurs de mieux connaître et de fidéliser le public.

Dans la culture française, les clubs ont toujours préféré investir dans le sportif plutôt que dans le secteur marketing

Il y a quelques années une étude comparative était sortie entre les clubs anglais, allemands et français sur l’équipement des clubs en logiciels CRM. On s’apercevait que les clubs français étaient totalement en retard là où 100% des clubs anglais des 4 premières divisions avaient implémenté un logiciel de CRM. Cela permettant par exemple de dire “je vais lancer une requête pour inviter telle ou telle personne dans le stade à tel tarif” etc. Avant même d’envisager des problématiques liées au big data, on s’aperçoit que la culture marketing ne fait son entrée que récemment dans le cadre du football professionnel et lorsqu’on commence juste à parler de fan experience, on commence à avoir une clé de compréhension des clubs, des attitudes, des motivations des supporters ce qui n’existait pas il y a encore 10 ans. Lorsqu’on regarde sur les 3 ou 4 dernières années, il y a eu par exemple des rapports commandités par la Ligue de Football Professionnel (LFP) et par l’UCPF pour mieux connaître les modalités de consommation des supporters français dans les stades. Les clubs connaissent assez mal leurs supporters.

 

Selon vous à quoi ressemble le cycle de fan experience idéale ?

La fan experience en France commence à être envisagée selon un découpage classique :

  • avant
  • pendant
  • après

et qui consiste pour l’organisation du spectacle sportif d’accompagner un fan dans sa courbe émotionnelle liée au match et de faciliter au mieux les services associés de l’achat du billet jusqu’au souvenir d’après match. On commence à avoir des actions concrètes en face du terme de fan experience. Cela va aller de la facilité à s’acheter le billet, à accéder au stade, à avoir une belle vue, à avoir des services, à utiliser des startups comme Digifood pour réduire les files d’attentes pour s’acheter à manger dans un stade.

J’ai une autre clé de lecture qui consiste à dire que la fan experience c’est la satisfaction que puise le fan dans tout ce qui n’est pas associé aux résultats sportifs : on peut être content d’être allé au stade même si son équipe a perdu. Il y a quelque chose d’assez important que l’on a encore des difficultés à avoir dans les stades en France : le sens de l’hospitalité. Quand on assiste à des matchs aux Etats-Unis, ce qui frappe la première fois c’est la cordialité et le sens de l’hospitalité des américains.

En France lorsqu’on a accès au stade, on est contrôlé par des vigiles qui ne disent pas toujours “bonjour”.S i on est perdu dans le stade il n’y a pas toujours des hôtes ou des hôtesses qui vont vous aider. Aux Etats-Unis ce qui est frappant c’est ce sens de l’hospitalité et de se dire qu’un supporter au stade va passer un bon moment aussi parce que c’est agréable. Dans les stades et arénas que j’ai pu visiter aux Etats-unis, on trouve fréquemment des enquêtes où l’exploitant du stade de la salle vous invite à remplir un questionnaire de satisfaction pour savoir quels sont les points positifs et négatifs de votre point de vue.

Aux Etats-Unis ce qui est frappant c’est ce sens de l’hospitalité.

En France, ce sens de l’accueil, on ne l’a pas encore. Ce n’est pas que dans le sport. C’est d’une façon générale. On ne sait pas accueillir les touristes étrangers. J’ai de nombreuses anecdotes sur mes expériences de fan aux Etats-Unis. On est presque décontenancé par le sens de l’accueil.

 

La France va organiser la Coupe du Monde féminine de football en 2019. C’est un autre grand évènement sportif organisé en France après l’Euro 2016. C’est l’occasion de mettre en place de nouvelles choses pour faire venir les fans au stade.

Dans ses plans stratégiques, la Ligue de Football Professionnel, qui envisageait déjà la Coupe de la Ligue comme une sorte de laboratoire des actions à mettre en place, a décidé d’expérimenter des choses au niveau de la Ligue 2 il me semble.

 

En 2016 vous avez organisé un hackaton au SM Caen. Y a t-il des actions qui ont été mises en place par la suite par le club?

Le club avait une réflexion sur la production d’une application matchday et voulait mener une réflexion sur comment on pouvait concevoir cette application. Le club souhaitait mettre en place un petit groupe de travail pour réfléchir sur le thème “qu’est ce qu’une bonne application?”. Et finalement on s’est dit pourquoi ne pas faire un hackaton puisque qui est mieux placé que les fans et supporters pour réfléchir à ce sujet.

On a mis en place ce hackaton qui n’était pas que sur le volet technologique puisqu’on avait à coeur d’accueillir des supporters qui n’étaient pas forcément des designers, des développeurs etc. Caen a été le premier club en Europe à organiser un hackaton. Il y en a eu un, un peu plus tard, organisé par Manchester City. C’était un hackaton de 24h dans l’enceinte du stade avec un match de Ligue 1 pendant les 24h. Plusieurs projets ont été pitchés à l’issue de ces 24h.

Le club s’est inspiré de ces pitchs pour concevoir son application qui a été développée par Orange et aussi pour puiser des bonnes idées. Par exemple sur ce qu’on pouvait faire avec une caméra 360 ou sur des concours pour favoriser l’éco responsabilité dans le stade. Cette première édition n’a pas permis de financer un projet d’un groupe gagnant. Mais cela a permis au club d’identifier de bonnes pratiques.

 

Un grand merci à Boris Helleu d’avoir accepté de répondre à ces questions. Cet entretien a été très riche pour mieux comprendre la place du supporter dans un stade mais aussi se rendre compte de la mauvaise grille de lecture qui est faite en comparant toujours nos stades à ceux des Etats-Unis.

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